C'était une journée ordinaire. Un réveil qui sonne. Une main qui sort de sous le drap pour appuyer sur le bouton qui fera cesser ce tintement incessant et désagréable. Un pied qui sort. Puis le second. Et finalement, je me retrouvai assise sur le bord de mon lit, la tête dans le jazz. Après avoir tenter de reprendre mes esprits, en vain, je me levai pour aller me doucher. J'espérai que ça me réveillerait. En laissant longuement couler l'eau tiède sur mon corps, j'étais encore loin d'imaginer que, quelques heures plus tard, je tomberais sur une personne de ce que je pourrais appeler mon passé. Je sortis de la cabine et me séchai. J'étais en train de mettre mon jean quand j'entendis miauler. Luciole devait avoir faim. Je souris et enfilai mon débardeur avant d'aller dans la cuisine lui donner à manger. Je regardai ma montre. Flûte, j'étais en retard! Je donnai quelques caresses à Luciole avant d'enfiler une petite veste, d'attraper mon sac et de quitter mon appartement. L'université m'attendait. Je passai des longues heures là-bas, assistant à mes cours.

Entre midi, j'étais rentrée pour manger et m'occuper un peu de Luciole puis j'avais à nouveau passé quelques heures à la fac. Au lieu de rentrer après mes cours, j'allai au café où je travaillais. Je déposai mon sac et ma veste à l'arrière, dans mon casier et j'enfilai mon tablier pour prendre mon service. J'étais à une table à prendre la commande lorsque la porte s'ouvrit et que je le vis. Mon coeur loupa un battement. Il ne semblait pas m'avoir remarquée. On a tous déjà été abandonné par quelqu'un. Qui n'a jamais connu ça? Franchement? Dans mon cas, l'homme qui venait de franchir cette porte m'avait laissée tomber, du jour au lendemain. Je regardai ma collègue, espérant qu'elle soit libre pour aller s'occuper de lui. Malheureusement, ça allait être pour moi. Je pris mon courage à deux mains pour m'approcher de sa table. « Bonjour. Qu'est-ce-que je peux vous servir? » Je me forçai à sourire normalement, comme si j'étais en face de n'importe quel client. Allait-il me reconnaître alors que ça faisait déjà dix ans? Allez savoir...

Dans la vie, il faut parfois prendre certaines décisions. Parfois, il faut malheureusement quitter des personnes. Mais il y a toujours une façon de quitter ceux qui ont fait partis de nos vies. Il y a une bonne façon, si je puis dire, avec des adieux, des pleurs s'il le faut, tout ça. Et la mauvaise. Celle où la personne que vous quittez se sent comme abandonnée parce que du jour au lendemain, vous êtes partis. Malgré un au revoir, ça n'est pas suffisant. Je me trouvais en face de Gabriel, cet homme qui, dix années auparavant, était partis du jour au lendemain. Oh, bien sûr, il m'avait dit au revoir. Mais j'étais toujours restée sans explications. C'était comme si je n'avais pas comptée pour lui, comme si je n'avais rien représentée. Je savai très bien qu'à l'époque je n'avais que quatorze ans mais était-ce vraiment une raison? C'était même encore pire, je ne comprenais pas et pour une gamine, c'était vraiment comme une trahison. J'étais en face de lui et j'espérais avoir assez changée depuis toutes ces années pour qu'il ne me reconnaisse pas. Il commanda un cappuccino avec un supplément de crème fraîche. Je pris note sur mon petit carnet, prête à repartir. Nos regards se croisèrent alors, plus par inadvertance que volontairement. "Charlie?" Aoutch. Trop tard, il m'avait reconnue. « Il parait... Je vois que t'es de retour... C'est super... » Je n'en pensais pas un traitre mot. En vérité, je lui en voulais pour ce qu'il avait fait. Mon sourire s'était effacé. « Je reviens tout de suite avec ta commande. » Je m'éloignai pour aller faire son cappuccino puis je revins vers lui pour le déposer sur la table. Il n'y avait pas trop de monde, c'était agréable de travailler quand c'était comme ça. « Voila. » Je n'avais pas l'intention de faire la conversation. C'était lui qui était partis, c'était lui qui me devait des explications. Et j'étais toujours fâchée contre lui.

Me retrouver face à Gabriel ne me faisait pas plaisir. En fait, ça me faisait plus de mal qu'autre chose. Vous allez me dire que toute cette histoire remontait à dix ans, qu'il serait sans doute grand temps de tourner la page. Mais comment tourner la page sans une once d'explication? Quand on a passé tout ce temps à se dire qu'on avait dû faire quelque chose de mal, quelque chose qui l'avait fait fuir. Je n'avais pas pensé à ça tous les jours mais le revoir faisait remonter tout les souvenirs dans ma tête. Et dans mon coeur. Et la douleur que j'avais ressentie à ce moment là, durant cette période de ma vie, me revenait en plein visage. Je lui ramenai sa consommation. "Tu finis ton service à quelle heure Princesse?" Oh non. Ça... Ça il n'avait décidément pas le droit. Il n'avait pas le droit de m'appeler comme ça, de m'appeler comme lorsqu'on était ensemble. Il n'avait pas le droit de se comporter de cette façon. Je laissai échapper un léger rire nerveux, me forçant à ne pas péter un câble. Je ne voulais pas faire un scandale maintenant, pas pendant que je travaillais. « Ne m'appelle pas comme ça Gabriel. T'as plus à le faire... T'as perdu ce droit quand t'es partis. » Oui, je devais paraître froide mais j'étais assez fâchée et de mauvaise humeur. Je lançai à ma collègue que je prenais une petite pause puis je m'installai en face de Gabriel pour poser mon regard sur lui. Un regard assez triste, mélangé à une forme de douleur et de froideur. « Qu'est-ce-que tu veux? » Je voulais savoir pourquoi il voulait savoir quand est-ce-que j'allais terminer mon service. Quelle excuse bidon allait-il me sortir pour tenter de se faire vaguement pardonner? Pour se justifier? Oui, parce que c'était sans doute ça. Il allait essayer de se justifier pour que j'efface tout et qu'il n'y ait pas trop de tensions. Histoire qu'une façade soit présente et qu'on fasse bonne figure, comme si rien ne s'était passé...? Ce serait bien difficile de mon côté de faire comme si rien n'avait jamais eu lieu...

Je lui dis clairement qu'il avait perdu le droit de m'appeler avec tout ces petits surnoms le jour où il était partis. Tout ce qu'il trouva à dire fut un misérable "Je sais..." Au moins, il avait l'honnêteté d'avouer qu'il me devait des explications et il m'informa qu'il ne voulait pas me perturber pendant mon travail. Il était déjà un peu tard pour ça mais en entendant ça, je ne pouvais que me douter que ce qu'il allait m'expliquer n'allait pas me faire spécialement plaisir. "Donc je vais finir mon café, m'en aller, et si tu es d'accord, je reviens te chercher à la fin de ton travail et on discute..." Je lâchai un soupire en croisant les bras. Qu'on discute? Mais je n'avais rien à lui dire moi. Quoi que... Et puis la tentation de le voir tenter vainement de justifier ces dix dernières années était assez forte. Je n'écoutais même plus ce qu'il dit ensuite. J'étais trop occupée à peser le pour et le contre de le laisser venir me récupérer à la fin de mon service. Je plongeai mes yeux dans les yeux pour lui répondre: « Ne crois pas que c'est bon signe pour que je te pardonne mais... Je termine dans deux heures. L'envie de te voir te dépatouiller dans des excuses minables pour tenter de te justifier est trop tentante. » Est-ce-que je lui pardonnerais un jour? Allez savoir. Gabriel a été mon premier. Oui, il a été ma première fois. Est-ce-qu'il a été mon premier amour? J'en sais rien. Est-ce-qu'on peut vraiment aimer à quatorze ans? On dit que l'amour n'a pas d'âge... Mais est-ce-que c'est vrai? Peut-être bien, au fond, que je l'aimais. Mais j'aurais dû savoir que malgré tout, ça ne pourrait pas durer. Comment un type comme Gabriel aurait pu rester avec la gamine que j'étais? J'aurais dû savoir que ça aurait une fin. Mais j'avais été assez naïve pour penser que ça pourrait fonctionner. J'avais été bien idiote. Je me levai en le regardant: « Ne sois pas en retard. T'auras pas de deuxième chance de t'expliquer... » Puis je tournai les talons et repartis pour deux heures de travail.
A la fin de mon service, je rangeai mon tablier dans mon casier et récupérai mon sac. Puis je sortis du café après avoir salué mes collègues, et ma patronne au passage, pour attendre Gabriel.

Il était vrai que j'avais envie de savoir. J'avais envie et besoin de comprendre pourquoi il était partis. Pourquoi il m'avait laissé alors que, d'après ce dont je me souvenais, je n'avais rien fait de mal. Alors pourquoi m'avait-il fait ça? Je ne sais pas s'il se rendait compte du mal qu'il m'avait fait. Il me remercia de lui accorder sa chance, pour m'expliquer. C'était plus de la curiosité qu'autre chose. J'avais besoin de savoir. Maintenant qu'il était de retour, j'avais besoin de savoir. Tout les souvenirs me revenaient en plein visage et je savais très bien que ça n'irait pas. Que tout allait se compliquer. J'avais besoin d'être sûre de pouvoir avancer. Juste avant que je ne retourne à mon travail, il m'informa qu'il était conscient qu'il n'aurait pas de deuxième chance. Quelques minutes plus tard, il franchit à nouveau la porte pour sortir. Je passai à sa table pour prendre ce qu'il avait laissé comme argent ainsi que sa tasse. Les deux heures s'écoulèrent...

Je devais avouer que durant le temps qu'il me restait à travailler, je n'avais pas forcément été très concentrée. Je sortais du café quand il arriva. Je crois que même s'il n'avait pas été à l'heure, j'aurais attendu. Peut-être pas longtemps, peut-être juste dix, quinze ou vingt minutes mais j'aurais attendu. Je n'aurais pas été capable de partir tout de suite. Il se gara devant moi. La fenêtre était ouverte et il me lança qu'il était à l'heure, comme il l'avait promis. Mon coeur rata un battement en le voyant ainsi. J'allais au collège quand nous étions sortis ensemble et il venait régulièrement me chercher en voiture. J'aurais pu me vanter de sortir avec un lycéen mais honnêtement je ne l'avais jamais fait. Ça n'avait pas d'intérêt. Qu'importait son âge, l'essentiel était que je sois heureuse non? Et à l'époque, je l'étais. Et Gabriel était celui qui me rendait heureuse, durant tous les jours que j'avais passé avec lui. S'il n'était pas partis, qui sait jusqu'où nous aurions pu aller? Il avait toujours son impala. Voiture qui en avait vu des choses. Il s'en était passé des trucs dans cette voiture. Je vous épargne les détails. Je mis quelques secondes à réagir, secondes pendant lesquelles je dus me contenir pour mettre mes émotions et mes souvenirs autant que possible de côté. Je m'approchai et ouvris la portière. Lorsque ma main se posa sur la poignée, elle tremblait légèrement. Gabriel ne le verrait sûrement pas et c'était bien mieux ainsi. Je m'installai côté passager pour demander, en regardant droit devant moi: « On va ailleurs? » C'était surtout pour savoir si je devais mettre ma ceinture ou non. Un détail, me direz-vous. Je le verrais bien assez tôt s'il démarrait ou non. Puis j'osai enfin tourner mon visage vers lui pour dire: « Alors... Je t'écoute. Qu'as-tu à dire pour ta défense...? »

La vie est semée d'embûches. C'est ainsi que tout fonctionne. Il n'y a pas de mode d'emploi ou de moyen de changer la donne. Tout le monde doit passer par là, c'est comme ça et pas autrement. Alors oui, on souffre. Mais généralement ce n'est pour en sortir plus fort encore. Après le départ de Gabriel, j'avais souffert. Je ne comprenais pas, je croyais que j'avais fait quelque chose de mal. J'étais perdue. Certes, je n'avais pas forcément eu de relation ayant connue un franc succès mais au moins, j'avais tourné la page. Jusqu'à ce que je me fus retrouvée en face de lui...
Finalement, je n'avais toujours pas de réponse. Je lâchai un léger soupire et mis ma ceinture, observant la route. J'essayais de voir où nous allions. Je ne parlais pas. Je n'en voyais pas l'intérêt. C'était à lui de me donner des explications, c'était donc à lui de me parler. Finalement, lorsqu'il sortit de la route, je priai intérieurement qu'il ne nous ramène pas là où je pensais qu'il allait nous ramener. Je fermai les yeux un instant, le visage tourné vers ma vitre pour que Gabriel ne voit rien, me concentrant autant que possible pour ne pas me laisser submerger par l'émotion. Je les rouvris lorsque je sentis que la voiture fut arrêtée. Notre endroit... Comment osait-il me ramener ici...? Je l'écoutais parler, sans vraiment faire attention à ce qu'il disait. Je regardais devant moi, en silence, avant de demander doucement: « Pourquoi ici...? On aurait pu aller n'importe où d'autre, alors pourquoi ici...? » Puis il reprit la parole, disant qu'il n'y avait qu'avec moi qu'il devait et voulait se justifier sur ce qu'il avait fait dix ans auparavant. Je tournai enfin mon visage vers lui pour lui demander un peu plus sèchement: « Et si tu en venais au fait au lieu de tourner autour du pot comme ça? »

C'était déjà difficile de le revoir après tant d'années alors le fait qu'il m'emmène ici pour se justifier, ça me faisait mal. Très mal. Je ne comprenais pas pourquoi il faisait ça, à croire que son but était de me blesser, de me faire baisser ma garde en me submergeant de toutes les émotions qu'il était possible. Dans mon cas, je me retenais pour ne pas laisser exploser ce bouillonnement de sentiments et de sensations. Entre la colère, la tristesse, et tout ce qu'il était possible de ressentir dans un tel cas. Je n'arrivais même pas à nommer tout les sentiments que je ressentais tant il y en avait à la fois. Ça lui semblait le meilleur endroit? Et bien pour moi, ça semblait être le pire qu'il pouvait choisir... Il commença à m'expliquer ce qui s'était passé. Pourquoi? Pourquoi avait-il continué jusqu'au bout, jusqu'au dernier jour, sans jamais me parler de quoi que ce soit?! Je n'avais pas été digne de confiance? Je ne comptais pas assez?! Je me retenais de ne pas cracher tout mon venin dans son visage. Il reprit et cette phrase m'interpella: « Si ça ne s'était pas passé comme ça, j'aurais préparé mon adhésion à Stanford, je serais revenu parfois... ça aurait été bien différent... » Oh oui... Beaucoup de choses auraient pu être différentes. Ne serait-ce que s'il m'avait parlé de tout ça, tout aurait pu être bien différent. Mais il avait jugé préférable de n'en faire qu'à sa tête, sans penser aux conséquences que ça aurait, sans penser à moi. Il reprit encore une fois, après avoir posé son front sur ses avants bras.

« Et pourtant... Malgré tout, j'ai pensé à te demander de partir avec moi... Mais j'ai pas osé. C'était tellement irréaliste cette possibilité que j'ai rien dis... Et j'en suis désolé. » Oh, il était désolé?! Comme c'était gentil de sa part! « Je vois... Enfonce le couteau dans la plaie, je dirais rien... » Je regardais droit devant moi, n'osant pas le regarder. J'avais envie de pleurer, j'avais les larmes sur le bord de mes yeux mais je me retenais. Je ne voulais pas craquer, je ne voulais pas qu'il voit que tout me faisait encore tellement mal dix longues années plus tard. « T'es vraiment trop con... Si... Si t'avais osé, je serais venue... Tu... T'aurais dû me parler de tout ça, merde Gabriel! Pourquoi tu m'as jamais dis que tu ne savais pas quoi faire, tout ça?! On aurait parlé, on aurait trouvé une solution, j'en sais rien moi! J'étais quoi pour toi? Parce que visiblement, j'avais beau être ta petite-amie, j'étais pas assez importante pour toi pour que tu me parles de tout tes problèmes, de tes projets, de tes hésitations...! » Je soupirais et remit nerveusement mes cheveux en arrière. J'étais prête à craquer mais je faisais de mon mieux pour retenir mes larmes en remplaçant mon chagrin par la colère.

Cette situation ne me convenait pas, mais alors pas du tout! Je savais que ça ne serait pas simple d'entendre ses explications mais c'était encore pire que ce que j'avais imaginé. Plus les minutes à ses côtés s'écoulaient et plus je me demandais s'il n'aurait pas été préférable que je refuse de l'écouter. Ou encore si je n'aurais pas préféré l'entendre me dire que je n'avais pas tant compter à ses yeux. S'il m'avait dit ça, j'aurais eu mal, c'était sûr. Très mal. Mais après, j'aurais oublié, avec le temps. Il paraît que le temps guéris toutes les blessures... Tu parles... Celles que Gabriel étaient en train de m'infliger ne guériraient pas. Pas de si tôt. Il parla. Je l'écoutai, regardant droit devant moi, tentant tant bien que mal de retenir mes larmes. "Et tu sais ma puce, tu avais 14 ans... Je sais que tes parents m'aimaient bien, mais de là à te laisser partir à l'autre bout du pays pour suivre ton copain? Je doute... Et je ne voulais surtout pas te voler ta vie, tes études à venir, ta relation avec tes parents..." Quel égoïste. Il aurait tout de même dû m'en parler! Je sais que j'avais que quatorze ans, mais quel que soit l'âge, dans un couple, on parle de ce genre de choses! Non?! J'aurais pu continuer mes études là où on se serait installé. J'aurai vu mes parents certains week-ends, durant les vacances. Ma vie, à ce moment là, elle était avec lui et pas sans lui. De plus, ma relation avec mes parents... Elle allait très bien, ils avaient confiance en moi! J'étais sûre que ça n'aurait rien changé entre eux et moi. Ils auraient de toute façon finis par l'accepter, un jour ou l'autre. Ils n'auraient pas eu le choix. Je secouai doucement la tête sur le côté pour lui signifier que c'était n'importe quoi. Il racontait des conneries. Peut-être essayait-il de se persuader lui-même qu'il avait bien fait, que ça avait été pour mon bien.

"Tu n'étais pas seulement ma petite-amie Charlie... Tu étais la seule avec qui je m'étais stabilisé, celle pour qui j'aurais tout fait. La femme que je voulais avec moi pour le reste de ma vie, pour être la mère de mes enfants...". Un couteau en plein coeur. Voila ce qu'il venait de faire. Il venait de me planter un couteau en plein coeur. Maintenant, les larmes se mirent à couler. J'aurais pas dû l'écouter. J'aurais dû l'envoyer paître. "Je voulais le meilleur pour toi. Et ce jour là, je n'étais plus le meilleur... J'étais peut être même le pire... Et je ne t'ai pas laissé le choix. C'était con, c'était impulsif et dégueulasse de ma part, je le sais. Mais ne pense surtout pas que c'est ton âge ou parce que tu n'étais pas importante pour moi... C'était même tout le contraire..." J'hochai légèrement la tête: « T'aurais pas pu me faire plus de mal qu'en me disant tout ça... J'espère que t'es content... » Je me doutais bien qu'il n'avait pas cherché à faire ça et qu'il voulait juste être enfin honnête avec moi. Mais je voulais lui rendre la monnaie de sa pièce, le culpabiliser pour ce qu'il m'avait fait et me faisait encore ce jour-là. J'essuyai rapidement mes yeux puis je détachai ma ceinture en disant: « J'aurais jamais dû accepter de t'écouter...! » J'avais déjà passé plusieurs semaines à pleurer, à me demander ce que j'avais bien pu faire pour qu'il parte il y avait dix années de ça. Et ça allait sans doute recommencer, comme si on fêtait l'anniversaire de son départ... Quelle ironie... Je sortis de la voiture avec mon sac que je mis sur mon épaule et je laissai à nouveau mes larmes couler sans plus vouloir les cacher. J'étais hors de sa vue et je me mis à marcher en pleurant, avec l'intention de rentrer. Je ne voulais plus rester, je voulais partir, rentrer chez moi et m'enfoncer sous les couvertures de mon lit pour pleurer toutes les larmes de mon corps avec une peluche dans les bras et Luciole à côté de moi. Je n'avais plus personne qui pouvait m'aider aujourd'hui, c'était finis. J'étais seule. A l'époque, c'était ma mère qui m'avait beaucoup aidée et qui m'avait remonté le moral. A moi de me débrouiller seule maintenant...

"Ça me fait autant de mal qu'a toi... Et tu sais très bien que je n'en suis pas content..." Oh non, je ne le savais pas. Je ne savais plus rien. Il avait sans doute changé. On ne peut pas rester identique pendant dix ans, surtout quand on était ado et qu'ensuite on devient un adulte. Une phase s'était écoulée et c'était indéniable. On ne pouvait pas revenir en arrière. Nous avions tout les deux changés, évolués. Alors non, je ne savais pas. J'avais finis par lui lâcher une phrase, disant clairement que jamais j'aurais dû accepter de l'écouter. En gros, je regrettais d'être montée dans cette voiture, d'avoir subis toute cette remontée de souvenirs. C'était pour rien. Tout ça n'en valait pas la peine. J'avais pris mon sac et j'étais sortie de la voiture. Je ne voulais plus rester en sa présence. Je voulais juste me retrouver seule, pleurer toutes les larmes de mon corps et reprendre le cours de ma vie le plus normalement possible. Je m'étais mise à marcher, dans l'intention de rentrer chez moi. Je pleurais parce que je pensais réellement être hors sa portée. Jpensais qu'il me laisserait partir, qu'il comprendrait qu'il en avait déjà bien assez fait. Je me trompais. Je sentis soudainement son bras passer autour de ma taille puis son torse contre mon dos. Mon coeur s'emballa. Il avait pas le droit de faire tout ça. Il avait pas le droit de revenir. De me faire souffrir comme ça. "Pars pas... Je sais que tout ce que je t'ai dis, ça te fait du mal... et ça m'en fait aussi... Si tu savais..." J'essuyai rapidement mes yeux et demandai alors: « Alors laisse moi partir... Sors de ma vie... Tu l'as déjà fait alors ça ne devrait pas être compliqué de le refaire... » Oui. Oui, ça pouvait paraître méchant. Mais j'avais aussi le droit de lui faire du mal après tout ce qu'il m'avait fait. De plus, je ne pouvais pas résister à lui dire ça, de peur de céder à la tentation de tout lui pardonner aussi facilement...

Vous êtes vous déjà retrouvé face à votre passé? Un passé qui remontait à dix ans? Un passé que vous avez tout fait pour oublier, pour aller de l'avant, tourner une page? J'avais fait tout ça. Après de nombreuses semaines de pleurs et de lamentations, j'avais repris ma vie en main. J'avais quatorze ans, toute la vie devant moi! Je n'allais pas passer les années qui suivraient à me lamenter, à me demander pourquoi, à rester buter sur le mal que cet homme m'avait fait. J'avais tourné la page. Ou plutôt je le croyais. J'avais continué mes études, j'avais vécu des déceptions, j'avais perdu des gens, j'avais vécu. Comme tout le monde. J'étais tombée, je m'étais relevée. A chaque fois. Et après chaque chute, je me pensais plus forte. Il paraît qu'à chaque fois qu'on se relève, on ne se relève que plus fort encore. J'étais persuadée que c'était vrai. J'avais eu des relations, qui avaient toutes été des échecs. Dont une récente. Me retrouver face à l'homme qui fut mon premier amour, ma première fois mais aussi le premier à m'avoir brisé le coeur remettait ma force en question. Non... Je ne pourrais pas. Au fond, je ne pourrais jamais l'oublier. La page que j'avais tournée? La sensation d'être passée à autre chose? Tout n'était qu'illusions. Je l'avais aimé, je l'aimais encore aujourd'hui - dans une certaine mesure - et je l'aimerais sûrement toujours. On dit qu'on ne peut pas oublier son premier amour. Je pensais l'avoir fait. Je me trompais. "-Il n'y a aucune comparaison entre partir et contempler ce que l'on a perdu..." Il avait resserré son étreinte et j'avais été parcourue de frissons. Cette proximité... J'avalai difficilement ma salive alors qu'il reprit la parole. "-J'ai changé Cha'... Et je savais même pas que t'étais encore en ville quand je suis revenu... Je veux pas revenir et foutre le bordel dans ta vie... Juste... être là, dans un coin..." Je baissai les yeux. Le bordel dans ma vie, il l'avait déjà foutu. Quoi que, je n'avais peut-être pas besoin de son retour pour avoir le bordel dans ma vie. Prenant mon courage à deux mains, je pris enfin la parole: « Le bordel, tu l'as déjà foutu... Si j'écoute ma tête je t'envoie promener et si j'écoute mon coeur,... je me retourne pour t'embrasser... » Merde. Crap. Tout ce que vous voulez. Je lui avais tendu une sacré perche sans même réfléchir. Moi qui pourtant réfléchissais toujours. Espérant que ma remarque passerait à la trappe de cette façon, je lui demandai doucement: « Pourquoi? Pourquoi tu veux rester dans le coin? » Je ne bougeais pas. Je restais dos à lui, entourée de ses bras...

Les barrières que j'avais érigées en le voyant tombaient une à une. Comment lui résister? Lorsque ses yeux verts émeraudes se posaient sur vous, lorsque vous aviez vécu ce que nous avions vécu, vous ne pouviez pas rester indifférent. C'était bien trop dur. Malgré ma ténacité, malgré ma détermination à rester loin de lui, loin de ce que je pouvais ressentir, je crois que tout tombait à l'eau. Je craquais déjà. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour me faire céder, pour me faire lui répondre calmement et lui dire ce que je ressentais. Il me répondit qu'il voyait. Comment pouvait il voir? Il ne pouvait pas, il n'était pas à ma place. Il ne savais pas tout ce que j'avais traversé après son départ, il ne savait pas ce que je pouvais ressentir. Non, définitivement, il ne pouvait pas voir. Du moins était-ce mon avis. Je chuchotai doucement: « Non... Tu ne peux pas voir... » Je fermai un instant les yeux. Me souvenant. Me souvenant du nombre de fois où il m'avait tenue ainsi contre lui. Il était tendre et doux. Il n'avait jamais montré de signe d'impatience envers moi. Combien de fois m'avait-il susurré des mots doux à l'oreille? Je me sentais toujours si bien entre ses bras. Protégée. A l'abris de tout. Quand il me tenait contre lui, je n'avais pas peur. Je pensais que rien ne pourrait m'arriver, qu'il serait toujours là pour me protéger... Jusqu'à ce qu'il soit partis. Mais malgré tout, ce jour-là, au creux de ses bras, je ressentais à nouveau tout ça. Je me sentais à nouveau protégée... "-Je ne sais pas vraiment... Mais je sens qu'on a pas fini nous deux... Pas au niveau amoureux hein, te méprends pas... Mais... Juste... relationnel..." J'avais rouvert les yeux lorsqu'il m'avait chuchoté ça à l'oreille. Il était clair que nous deux, ça ne pourrait sans doute plus marcher. Mais on avait aussi sûrement encore des choses à nous dire. Il s'excusa en disant que ça ne voulait rien dire du tout. Je souris doucement et chuchotai: « J'ai compris... Ce que tu veux dire... » Peut-être qu'amoureusement, c'était terminé. Non, en fait c'était même sûr. Mais physiquement, l'attirance était toujours là. Du moins, pour ma part. Et je présentais que j'allais devoir redoubler d'efforts pour ne pas faire d'erreurs. « Jsuis désolée... » Mais de quoi? Je n'avais rien fait, lui-même l'avait dit. Je complétai: « De ne pas avoir cherché à te retrouver... » Si je l'avais fait, j'aurais aussi pu changer le cours des choses. Au fond, peut-être bien que Gabriel n'était pas le seul fautif dans l'histoire... J'avais toujours chuchoté. J'essuyai rapidement mes yeux avant que les larmes qui perlaient à nouveau à leur bord ne coulent le long de mes joues...

Sentir ses bras autour de moi faisait remonter dans ma tête un tas de souvenirs. Notre première rencontre, par exemple. Je me souvenais que j'avais été un peu gênée quand il était venu m'aborder. Vous savez bien ce que c'est. Quand un lycéen vient aborder une collégienne, c'est rarement parce que la fille lui plaît ou alors c'est juste pour coucher une fois avec elle et ensuite briser son petit cœur. C'était au lac. Avec ma copine, une jolie blonde un peu plus extravagante que moi, nous avions déjà repéré Gabriel et son ami, assis sur leur serviette. Mais bien entendu, aucune de nous d'eux n'aurait eu le courage d'aller leur parler. Ils restaient des lycéens et malgré tout, c'était impressionnant. Alors lorsqu'il était venu me voir et qu'il m'avait parlé, j'avais été timide au début. Peut-être légèrement méfiante, dans un sens. Puis la suite, vous la connaissez. Sortir avec un lycéen... N'importe quelle fille de mon âge se serait vantée mais je n'en voyais pas l'intérêt. A force de fréquenter Gabriel, j'avais compris que seules quatre années nous séparaient et qu'au fond, ce n'était pas très grave. Ni si impressionnant. La seule chose était qu'il avait des histoires de son âge. Des bagarres, ce genre de choses. Mais je savais comment il était et c'était sûrement pour ça que je ne l'avais jamais repoussé à cause de ses déboires. Je m'excusai de ne pas avoir essayé de le chercher. J'aurais pu après tout. Mes parents m'auraient même sûrement aidée. Mais à quatorze ans, on ne pense pas aussi loin.

Aujourd'hui, lorsqu'il m'avait dit qu'il avait pensé à me demander de partir avec lui, j'avais été blessée et fâchée. Je ne comprenais pas pourquoi il ne l'avait pas fait, surtout que je serais partie avec lui sans problème! Mais en y repensant bien à présent, j'étais trop naïve. Pourquoi se serait-il encombré d'une gamine? Même si j'étais sa petite-amie, je restais une gosse de quatorze ans. J'aurais pas pu travailler pour financer un appartement, et même si mes parents nous auraient aidés, l'aurait-il accepté ou aurait-il été trop fier pour accepter? Je soupirai en pensant à tout ça. Quelle aurait été notre vie s'il avait osé me demander, si on était partis ensemble? Il embrassa mes cheveux et je baissai légèrement le regard vers le sol. "-Non Charlie, tu n'as pas à t'excuser." Je les relevai. Il ne pouvait pas voir ça mais peu importait. J'avais tenu à m'excuser parce que j'avais à présent l'impression d'être aussi fautive que lui. Il était peut-être partis mais je n'avais rien fait pour le retenir ou le retrouver, pour changer les choses. J'étais restée sur place, sans pouvoir réagir alors qu'il remontait dans son impala et ensuite je m'étais lamentée sur mon sort. J'aurais dû me bouger les fesses pour le récupérer. Je le réalisais maintenant. J'en prenais enfin conscience. "-Tu devais te protéger à ce moment la, du mal que je t'ai fais... C'était le mieux à faire... Vraiment." Il avait frôlé le côté de mon ventre et j'avais une nouvelle fois frissonner. Et maintenant? Qu'allait-il se passer? Je me tournai pour lui faire face et le regardai dans les yeux. Son regard... Il m'avait fait craquer dix auparavant et me faisait craquer à nouveau. Avec un petit sourire, je dis finalement: « Il faut que je m'éloigne... Je risquerais de faire une bêtise en restant comme ça... aussi près de toi... » Je lui disais clairement, pour la seconde fois, que j'avais envie de l'embrasser. Mais ça serait une erreur, nous le savions tout les deux...

Ses bras, son odeur, son nez qui frôle l'arrière de mon oreille, ses mains... Cette proximité n'était pas propice à la discussion, pas en sachant ce qui nous reliait Gabriel et moi, pas en sachant l'attirance que je pouvais toujours ressentir envers lui. Tout se bousculait dans ma tête et je savais que si je restais comme ça, aussi près de lui, je finirais obligatoirement par craquer et faire quelque chose que je regretterais. Or, je refusais de céder à la tentation. L'histoire que j'avais eue avec Gabriel appartenait au passé et il fallait que ça reste du passé. Je ne pouvais pas me permettre de commettre une telle erreur. Je me retournai pour qu'il puisse voir que j'étais franche et que je risquais réellement de faire une bêtise et que je ne voulais pas. Je ne voulais pas tout gâcher. Il s'était expliqué, et peut-être qu'à présent, c'était le moment de tourner la page. Complètement...
Sa main au creux de mes reins me fit frissonner alors que je sentis une pression s'exercer sur moi pour que je me retrouve tout contre lui. Sa seconde main se posa sur ma joue et fermai les yeux pendant une seconde. Ou peut-être deux. Non... Gabriel, ne fais surtout pas ça... Tu vas compliquer les choses. Je reposai mon regard dans le sien. Décidément son regard... Je ne trouvais même pas les mots pour le décrire. "-Alors je la fais à ta place." J'aurais voulu avoir la force de reculer, de lui dire non et de le repousser. Mais ses lèvres s'étaient à peine posées sur les miennes que je fondai et me laissai aller contre lui. Je fermai les yeux et c'était trop tard maintenant. Une de mes mains resta posée sur son torse alors que l'autre alla se nicher sur sa nuque. Je lui rendis son baiser un moment, avant de me détacher et de baisser la tête. Il embrassait toujours aussi bien... La main que j'avais sur sa nuque glissa le long de son cou pour se retrouver posée sur son torse. Je me mordillai légèrement la lèvre durant une seconde avant de décider qu'il fallait que je recule, pour notre bien à tout les deux. Je tentai donc de m'échapper de son étreinte en disant d'une voix assez basse: « T'aurais pas du... » Le pensais-je vraiment? J'avais apprécié, c'était clair. Mais tout ça n'était pas une bonne idée et ça, c'était sans aucun doute possible.