Louna, le foin dans les cheveux, ce n’est pas super sexy tu sais ... Mais cela ne t’empêche pas de t’en mettre toujours partout. C’est à se demander comment tu fais ... En plus, avec les autres crétins à quatre jambes qui se jettent sur toi dès que tu passes devant leurs boxes, ce n’est chose aisée que la distribution. Mais tu soupires et tu t’obstines, parce que c’est ton taff et que tu dois bien faire des choses ingrates de temps en temps.

Louna laissa tomber la brouette avec fracas sur le sol. Enfin terminé ! La corvée de foin c’était ... une corvée, justement. Elle regarda ses doigts en grimaçant. Elle était écorchée de partout. Mais au moins, elle avait terminé rapidement. Dix-huit heures tout pile, un mercredi, pas mal hein ? Il était temps pour elle de rentrer ...

Mais une fois chez elle et sa douche finie, elle tourna comme un lion en cage. Elle n’avait strictement rien à faire. Oui, elle s’emmerdait. Et cela devenait inquiétant, parce que c’était de plus en plus souvent. Soit son boulot la prenait trop pour qu’elle ait le temps de faire quoi que ce soit, soit elle avait du temps libre et elle ne savait pas quoi en faire. Bref, elle était chiante. Jamais contente de quoi que ce soit. Franchement Louna, arrête un peu de te plaindre ...

Avachie sur son canapé, elle réfléchit à quoi faire. A qui elle pourrait aller voir. Elle fit défiler une liste imaginaire dans sa tête. Ses parents ? Ouais mais non. Ses frères ? Matt était sûrement trop occupé comme d’habitude et Zack devait encore passer la soirée avec sa copine. Ses amis ? Ils avaient toujours des plans de prévu et ne la mettait jamais au courant, vu qu’elle-même ne savait pas à quelle heure elle finissait.

« Faudrait vraiment que je me trouve un mec ... »

Une illumination se fit. Et Samara ? Cela faisait un moment qu’elle n’avait pas eu de ses nouvelles. A vrai dire, depuis qu’il était sorti de prison, elle n’avait pas pu encore le voir. Ce serait une bonne idée, surtout qu’il ne devait pas trop avoir le moral, après s’être fait condamné injustement ... Elle se leva et s’élança dans la cuisine. Elle attrapa son sac à dos au passage et mit des paquets de bonbons dedans. Quand elle gardait Samara quelques années plutôt, elle lui ramenait toujours des paquets de bonbons, qu’ils mangeaient en se confiant des secrets. Elle était proche de lui à cette époque et même s’il avait grandit depuis, elle était sûre qu’ils s’entendraient toujours aussi bien.

Il était vingt heures passées quand elle se pointa chez lui. Elle avait eu un peu de mal à trouver, vu qu’il avait changé d’adresse. Maintenant il habitait chez le chef de la police ... Heureusement qu’elle avait toujours été clean ! Elle frappa à la porte puis appela :

« Samy’, t’es là ? C’est Louna ! »

Elle sourit en voyant Samara puis se figea en remarquant la tête qu’il faisait. Il semblait complètement apeuré. Ca ne ressemblait pas au garçon qu’elle gardait. Elle resta un moment à, à le fixer, avant de réagir, lui posant une main sur l’épaule.

« Hey, qu’est-ce qui t’arrive ?! »

Elle baissa les yeux et le vit se cachant le bras avec la main. Elle fronça les sourcils. C’était quoi ce liquide rouge qui coulait entre ses doigts ?

« Mais tu saignes ! »

Elle le fit avancer dans l’appartement, ferma la porte et jeta son sac au sol. Puis, d’une main autoritaire, elle attrapa son bras et l’examina, remontant la manche du jeune homme. L’entaille ne semblait pas très profonde mais était assez large. Mais comment il s’était fait ça ? Et puis c’était quoi cette tête ? Louna avait la désagréable impression qu’il se passait des choses dont elle n’était pas au courant et qui étaient graves. Elle souffla un coup. Ce n’était pas dans ses habitudes de paniquer. Elle ferma les yeux quelques secondes avant de le regarder.

« Okay, calmons-nous. Tu va aller t’asseoir sur le canapé, je vais tenter de te soigner ça et après on en discutera. »

Elle le poussa gentiment vers le salon avant d’aller dans la salle de bain, sans lui laisser le temps de protester. Peut-être qu’elle aurait mieux fait de l’emmener à l’hôpital ... Mais en même temps, elle n’était pas sûr qu’il ait très envie de passer sa soirée là-bas. En plus, s’il y allait, ils allaient prévenir son tuteur et tant qu’elle n’en savait pas plus, elle préférait ne pas le mettre dans une situation indélicate. Elle allait donc essayer de se débrouiller par elle-même. Après tout, ce ne semblait pas bien grave. Elle fouilla dans la salle de bain, en espérant trouver une trousse de premier secours ou quelque chose dans ce style là. Elle finit par trouver de l’antiseptique, des compresses stériles et une bande. C’était déjà mieux que rien. Elle alla s’asseoir à côté du garçon avec son butin et commença son œuvre.

« Tu me dis si je te fais mal. »

Une arme. Mais qui avait pu laisser traîner une arme dans un appart’ où vivait un gamin de seize ans ?! C’était complètement immature et irresponsable et choquant et outrageant et ... bref. Ca la rendait furax. Si c’était son tuteur qui laissait traîner son flingue partout, bravo hein ! Mais elle ne dit rien. Ce n’était pas à Samara qu’elle devait dire tout ça, mais plutôt au crétin sans cervelle à qui appartenait cette arme.

« Ca va aller vite. »

Elle essayait d’aller le plus rapidement possible pour lui faire mal le moins longtemps. Mais ses mains tremblaient un peu sous le coup de l’émotion. Elle était toujours en colère, mais elle commençait aussi à envisager les autres possibilités. Il aurait pu se blesser plus gravement que ça, voire se tuer.

Elle releva brusquement la tête quand il lui posa sa question. Il n’allait vraiment pas bien ce gosse. Et cela lui faisait mal de le voir dans cet état là. Il aurait vraiment mérité mieux ... Celui qui avait assassiné ses parents et son demi-frère était un connard de la pire espèce.

« Samy’ ... Tu n’aurais rien pu faire. Rien n’est de ta faute. Tu n’as pas à te sentir coupable ou à te dire que tu pouvais faire quelque chose. »

Quelle horreur ... Elle aurait tellement voulu le réconforter, mais elle ne savait pas quoi faire. C’était la première fois qu’elle était face à une telle situation. Il faut avouer que ce n’était pas banal ... Elle se replongea dans son nettoyage. Une fois que cela lui sembla assez propre et que ça ne saignait plus, elle posa des compresses dessus et enroula la bande autour. Elle ne le fit pas trop épais, pour qu’il puisse facilement le cacher sous ses vêtements.

« Oui enfin en même temps, tu n’est pas censé pouvoir trouver une arme aussi facilement. »

Son regard se porta sur ladite arme, posée sur la table de la salle à manger. Elle ne supportait pas les armes, outils de souffrance et de mort. Elle prit Samara dans ses bras et lui fit un gros câlin.

« Fais gaffe, okay ? Tu aurais pu te tuer ... »

Et si ça avait été son but ? Et s’il avait eu envie de rejoindre sa famille ? Elle frissonna à cette pensée, qu’elle écarta de son esprit. Hors de question d’y penser. Ce serait vraiment trop glauque. Elle s’écarta de lui et le fixa dans les yeux. Elle murmura doucement :

« Il y a quelque chose dont tu veux me parler ? Tu sais que tu peux tout me dire ... »

C’est vrai que c’était bizarre. Normalement, le tuteur devrait être quelqu’un de sa famille, non ? Ou au moins quelqu’un proche de lui et pas le chef de la police ... Ou peut-être celui-ci avait fait ça dans le but de garder un œil sur Samara, d’être sûr qu’il ne lui arriverait rien. Qui sait, peut-être que des gens pensaient que Samara était réellement coupable et voulaient sa peau, ou du moins, lui faire du mal ... Les pensées morbides se succédaient dans sa tête.

« Ne dis pas ça ! »

Elle ne voulait pas vraiment l’engueuler, mais elle était effrayée parce qu’il venait de lâcher. Comment pouvait-il penser ça ?! Elle avait une idée très précise sur le suicide. Pour elle, c’était un acte égoïste par excellence. Mais en plus, il n’avait que seize ans, comment pouvait-il vouloir en finir ? Elle prit ça comme un appel à l’aide, une provocation pour la faire réagir. Elle murmura :

« Samy’, faut vraiment pas dire des horreurs pareilles ... »

Cela se voyait bien qu’il n’allait pas bien ... Mais que faisait son tuteur bordel ?! Ce n’était pas elle de s’occuper de ça, mais quelqu’un de compétent en la matière. Elle était complètement démunie contre ce genre de comportement et d’état d’esprit ... elle resta figé par la suite de ses paroles, le laissant se blottir contre elle.

Okay. Il fallait qu’elle réfléchisse rapidement. Quel était le meilleur comportement à adopter face à ça ? Son premier réflexe aurait été de lui en mettre une, pour le réveiller mais elle se retint. Déjà, parce qu’elle n’était pas non plus une femme violente. Ensuite, parce qu’elle ne pouvait pas décemment le frapper, alors qu’il semblait si fragile. Elle l’écarta doucement de lui et posa ses mains sur ses épaules, enfonçant légèrement ses doigts dans sa chair sous le coup de la tension.

« Ecoutes moi bien Samara. Cette arme, t’as pas intérêt à reposer un doigt dessus. Tu n’y toucheras plus, tu n’y penseras même plus, c’est clair ? Si j’apprends que tu ne m’as pas obéi, ça va aller très mal pour toi. Ici, tu es en sécurité. Tu es chez quelqu’un qui s’occupe de toi, pas forcément le mieux du monde, mais c’est déjà ça. Tu préférerais être en prison, au milieu de gens qui ont vraiment tué ? T’y es allé, tu as bien vu à quoi ça ressemblait ! Un an et demi ne t’a pas suffi ?! Et il y a des gens qui croient en ton innocence ! Moi, ton avocat, mes parents ... Ca représente peut-être rien pour toi, mais on est là, on te soutient. »

Elle le lâcha et soupira.

« Arrête de croire que tout le monde est contre toi, c’est faux. »

Il n’en avait sûrement rien à foutre, trop dans son délire. Cela l’attristait de le voir comme ça. Mais elle ne pouvait pas changer le monde non plus ...

« Ca te dit un chocolat chaud avec de la guimauve ? »

Quand elle était petite (ou même quand elle était plus grande), c’est ce que lui faisait sa mère quand elle ne se sentait pas bien ou que quelque chose la tracassait énormément. C’était son remède aux problèmes ...

Elle ne savait pas quoi dire. Elle se contentait de le serrer dans ses bras, complètement démunie. Mais merde ! Ca ne devrait pas exister une situation pareille ... Il devrait être en train de s’amuser, de profiter de sa jeunesse, de traîner avec ses potes et non être en train de pleurer dans les bras de son ancienne baby-sittrice ...

« Merci ... »

Tandis qu’il se levait pour aller ranger l’arme, elle alla chercher un paquet de guimauve dans son sac, resté à l’entrée. Elle passa dans ensuite dans la cuisine et fit rapidement chauffer deux tasses de lait au micro-onde. Elle mit ensuite une bonne cuillérée de chocolat en poudre et posa le tout sur la table. Elle leva les yeux en entendant les pas de Samara. Il semblait si nerveux ... Elle fronça les sourcils. Et s’il n’était vraiment pas en sécurité ? Elle ne savait pas quoi penser. Peut-être faudrait-il qu’elle rencontre son tuteur, histoire de voir un peu quel genre de bonhomme s’est ... Louna avait un peu un instinct de protection et Samara était comme un petit frère pour elle, même s’ils ne s’étaient pas vus depuis un bon moment. Elle ne supportait pas de le voir comme ça. Il n’était qu’un gosse, il ne pouvait rien y faire. Mais elle, elle était adulte, elle pouvait agir ! Elle le prit contre elle et lui caressa doucement les cheveux. Une idée lui vint.

« Tu n’as qu’à venir passer quelques jours à la maison, ça te fera du bien ... En plus, j’habite à la campagne maintenant. Tu peux venir dès ce soir, je m’occuperais de ton tuteur s’il n’est pas d’accord. Je te dirais que je t’ai traîné de force ou quelque chose dans le genre s’il insiste. »

Peut-être se sentirait-il mieux en passant quelques jours loin de tout ça ... et puis, ça lui ferait de la compagnie. Elle se sentait si seule depuis qu’elle n’était plus chez ses parents ... Elle murmura :

« Je ferais tout pour te protéger Samy, je te le promets. »

Une promesse qui pourrait se révéler lourde de conséquences avec le temps.

Elle avait beau ne pas essayer de le juger, se dire qu’il avait vécu des événements traumatisants, que sa vie n’était pas facile ... Il était un peu flippant quand même. Il se retrouvait plongé dans ses souvenirs comme ça, il semblait complètement détaché de la réalité ...

C’est un psychologue qui lui faut, pas moi.

Mais il n’avait qu’elle pour l’instant. Alors elle lui sourit tendrement, essayant de le réconforter. Elle, elle ne voulait pas qu’il disparaisse. Elle s’était vraiment attachée à ce petit gars. Elle avait du mal à voir l’adolescent qu’il était devenu. Pour elle, il restait le petit garçon. Elle tenta de le persuader.

« On ne le dira à personne en qui tu n’as pas confiance, d’accord ? Tous ceux qui te veulent du mal, jamais ils ne le sauront. »

En fait, on lui mettait des idées dans la tête, des idées bien néfastes d’ailleurs. Tu m’étonnes qu’il soit aussi chamboulé alors qu’on lui fait croire que tout le monde veut sa mort ! Louna serra les dents. C’était un peu une brute, la demoiselle, et quand quelque chose ne lui plaisait pas, elle n’y allait pas avec des pincettes. Elle allait en toucher deux mots au tuteur de Samara ou à son avocat, et ce ne serait pas avec douceur. Il fallait le sortir de cette situation, et vite. Elle ne lui proposait qu’un échappatoire éphémère.

« Tu ... tu n’auras pas besoin de faire du mal à qui que ce soit. On sera tranquille. »

Et dire qu’à la base, elle était venue pour manger des bonbons avec lui ... Le plan avait plutôt bien changé ! Elle se leva.

« Bon. On ferait mieux de partir avant que quelqu’un débarque. Va faire ton sac, prends des vêtements pour deux-trois jours, je te filerais ce qu’il te manque. »

Ses yeux se posèrent sur les deux tasses sur la table basse. Finalement, le remède magique n’avait pas fonctionné cette fois-ci ... Et si c’était parce qu’il n’y avait pas de solution ? Rah on dit penser positif, Louna ! C’est pourtant pas bien compliqué ... Elle attrapa les deux tasses et alla les vider dans l’évier avant de les mettre dans le lave-vaisselle puis retourna dans le salon, attendant son petit protégé. Parce que c’était comme ça qu’elle le considérait pour l’instant.

Elle fronça les sourcils. Mais qu’est-ce qu’il racontait ? Il avait des visions maintenant ? Ca devenait vraiment inquiétant ... Pourtant, elle ne pouvait se résigner à le laisser tout seul. Il semblait tellement perdu, tellement enfantin ... Elle éprouvait ce besoin irrépressible de s’occuper de lui. Et maintenant, elle ne pouvait plus faire machine arrière, car ça serait trop le décevoir.

« Samy, tu n’es pas fou, d’accord ? C’est normal qu’après un tel traumatisme, tu continues d’avoir des visions. »

C’était eux les fous. Peut-être qu’au fond, il n’avait pas tout à fait tort. Il fallait être fou pour envoyer un enfant en prison. Elle le prit dans ses bras et lui caressa doucement le dos, pour tenter de l’apaiser du mieux qu’elle pouvait.

« Allez calmes-toi mon grand, tu ne risques rien. Et promis, y’a pas de morts ni de sang chez moi. C’est tout calme. »

Pas sûr que ça le rassure vraiment, mais bon.

« Allez viens, on y va. »

Elle prit son propre sac et attrapa la main de Samara, la serrant doucement entre ses doigts. Elle lui adressa un sourire éblouissant. Elle avait toujours été son arme contre les moments difficiles, comme si sourire pouvait tout arranger. C’était peut-être naïf de sa part, mais ses parents lui avaient inculqué ça. Sois heureuse et tout ira toujours mieux. Oui, ça ira mieux pour Samara. Et puis, si elle pouvait sourire, c’est que ce n’était pas si grave que ça, non ? ...

« T’as tes clefs ? Pour verrouiller la porte derrière nous ... »

Elle vérifia une dernière fois qu’elle n’avait rien oublié. Puis elle se dit qu’elle devrait quand même laissé un mot, histoire que son tuteur ne s’inquiète pas. Elle fouilla dans ses poches et trouva un morceau de papier. Un stylo trainait sur la table. Elle écrivit à la hâte : Samara est quelques jours à la maison, ne vous inquiétez pas. Je vous le ramènerais. Louna. Avec juste son prénom, il y avait peu de chance qu’il réussisse à trouver où elle habitait ...