Lewis est né un 26 septembre ensoleillé sous les platanes d’un hôpital public, sa mère ayant eu la bonne idée d’aller faire une balade en plein milieu de ses contractions. Son père et sa mère, tout deux très impliqué dans leur affaire de vente de tapisserie (Les tapisseries Bering & Sons), n’ont jamais vraiment été du genre papa et maman poule poussant plutôt leur deux fils à se débrouiller par eux-mêmes dès leur plus jeune âge. On sentit tout de suite lequel des deux fils Bering avait la fibre commercial : Arthur, de deux ans le cadet de Lewis, montra très rapidement des capacités exceptionnelles dans la vente ce qui comblant ses parents, laissa tout le loisir à Lewis de faire ce qu’il voulait. Il ne faut pas pour autant en conclure que les deux frères se détestaient. Unis comme les doigts de la main, chacun avait trouvé son équilibre et sa place dans cette petite famille. Arthur était aussi mauvais à l’école que son frère était bon, Lewis aussi intéressé par le commerce que Arthur y excellait. Famille aisée mais non riche, le choix fut vite fait quand la question de qui allait aller l’université se posa. Fini le temps des quatre cent coup dans les rue de Brooklyn, les flirts amusés et tendre avec les jeunes filles du quartiers ; l’un comme l’autre commencèrent les choses sérieuses dès leur 20ème anniversaire respectif. Arthur repris l’affaire familiale qui, aux dernières nouvelles, allait extrêmement bien, au vue de l’ouverture du troisième magasin « Bering & Sons ». De l’autre côté, Lewis partit à l’université avec la ferme attention de devenir « quelqu’un » : son frère prenant déjà la place de l’entrepreneur à succès, il ne restait que celle de l’intellectuel respecté pour Lewis.
L’université fut une période bénie. Lewis réussissait ses examens, avait des petites amies, des petits copains aussi (mais ce genre de relation semblait faire partie du package des intellectuels reconnus), s’épanouissait dans ses études qui s’orientèrent bien vite vers la littérature américaine et britannique, lectures qui avaient bercé son enfance et son adolescence et qui sans doute le suivrait dans la tombe. Surtout, le 13 juillet 2009 à 14h45, Lewis se brisa le nez dans une bagarre. Un cri, un hurlement de bête féroce, et un autre poing déterminé vint s’abattre sur le visage de son agresseur. L’auteur de cette riposte avait un nom : Pete Ravelli, italo-américain, petit mais teigneux, futur meilleur ami et allié de Lewis. Quand on observait Pete, jeune homme fin mais tout en muscle de 23 ans, qu’il était un étudiant en art, fin dessinateur, aquarelliste pendant les grandes vacances. On l’imaginait plus sur les stades de foot ou lampant un litre de bière (ce qu’il faisait aussi). Lewis s’était trouvé un frère d’adoption, un ami tenace, un copain de beuverie, bref, tout ce qu’on souhaite avoir quand on a la vingtaine. L’un se voyait intellectuel engagé, l’autre artiste subversif, tout deux savait que leur vie serait éternelle.
Un soir de mai sur la route en rentrant d’une soirée, Lewis fut surpris par un faon sortant du bois. La voiture fit un écart sur la route et tomba dans le ravin. Pete fut éjecté de la voiture, à travers le pare-brise. Quand Lewis se réveilla dans la chambre de l’hôpital, Pete n’était pas avec lui. Il le vit revenir du bloc des heures plus tard, le visage pâle mais vivant. Ce fut le plus beau et le plus triste jour de sa vie. Plus jamais Pete ne remarcherait.
Les mois qui suivirent passèrent comme à travers un brouillard. Fraichement diplômé, Lewis ne put s’empêcher de pleurer silencieusement quand on remit son diplôme à Pete, trépignant de joie sur son fauteuil qui grinçait à chaque mètre. Il lui avait pardonné mais Lewis ne se ferait jamais ce cadeau.
Quelque mois avant d’arriver à Red Wing, Lewis se trouvait au mariage de son frère. Amanda, maintenant officiellement sa belle-sœur,  était une jolie femme brune aux yeux pétillants, énergique et revêche, parfaite pour son frère. Ce qui amena Lewis a se poser quelques questions sur lui-même …
« J’ai entendu parler d’un poste qui se libérait à Red Wings …
- Red quoi ? » lança Pete
Lewis bloqua le fauteuil près d’une des tables de la salle de réception et s’assit près de son ami.
- Red Wing. C’est dans le Minnesota. Un poste d’enseignant de littérature.
- C’est bon ça non pour ta thèse ?
- Ouais. Fitzgerald est né pas très loin de la.
- Comme ça tu pourras t’inspirer de sa grande vie de grand auteur américain, plaisanta Pete
- Ouais.
Pete se servit un verre de vin. Il tendit la bouteille à Lewis qui refusa d’un geste.
«  Toujours pas remis, hein ? lança Pete.
- Quoiqu’il en soit, dit Lewis en prenant une grande inspiration, je crois qu’il me faut se poste. C’est loin de tout ce que j’ai toujours connu c’est vrai mais regarde moi ! Ma thèse n’avance pas d’un pouce, j’ai à peine de quoi vivre tandis que mes parents se payent des vacances aux Baléares, mon frère se marie, sans parler du superbe contrat que tu viens de décrocher !
- Ce ne sont que quelques dessins, répondit Pete d’une voix douce.
- Te fout pas de ma gueule monsieur l’artiste du New Yorker ! lança Lewis en riant. Tu l’as mérité ! Mais maintenant c’est à moi d’agir. »
Il se leva de sa chaise, attrapa sa veste et dit d’un air triomphant :
« The rest is silence ! »
Pete se mit à rire et tandis que Lewis s’éloignait il cria : « Oublie pas de m’envoyer une carte postale ! »