Hal est né à Red Wings. Ensuite, il en est parti. Puis il y est revenu. L'on pourrait résumer son histoire de cette façon, mais ce serait dommage de passer à côté de certains détails.
Premier fils de Samuel et Danielle Keagan, Hal fut rejoint à ses douze ans par Gabriel et Gwendolyn, les deux faux-jumeaux espiègles qui rythmeraient son adolescence de diverses farces et de réveils systématiques à six heures du matin, même le dimanche.
Les Keagan étaient avant tout une famille aimante sans soucis notoires et sans drames malgré le caractère bien trempé de Danielle et les problèmes cardiaques de Samuel. Pour lui, pour le reste de la famille et probablement pour toutes les personnes qui les connaissent, ils resteront probablement le couple le plus uni et, sans même exagérer, l'un des plus fort. Ils furent un modèle pour leurs enfants. Un modèle que Hal aurait bien aimé reproduire.

Tout petit déjà, comme bon nombre d'enfants de son âge, Hal aimait beaucoup dessiner - ainsi que tapoter sur un piano, même si au fil des années il ne resta pas au stade du tapotement. Il dépassa néanmoins bien plus vite le passage de la maison aux quatre fenêtres, à la porte centrée et au toit triangulaire entourée de gazon vert où deux tulipes ou pâquerettes se battaient en duel.
Il continua et grâce aux cours de dessins que lui accordèrent avec joie ses parents, il sût qu'il voulait faire du dessin son métier. Il n'avait aucune idée duquel exactement, il ne savait pas comment mais il savait pourquoi. C'était déjà pas mal.
Il était d'ailleurs loin d'être mauvais à l'école (pas autant que Gabriel le serait plus tard, cependant, ce dernier s'étant révélé être le petit génie de sa famille avec son 195 de QI) et ne négligeait presque rien. Alors s'il avait de nombreuses absences à cause d'une santé fragile (qui se fortifia au fil des années, heureusement) parfois habilement feinte, ses bulletins étaient généralement plutôt bons, sans être très bons. Sauf en sport et en histoire. Il n'aimait pas ce qu'ils faisaient dans la première matière - sauf la natation et le basket et éventuellement le baseball - et ses professeurs d'histoire avaient toujours été très soporifiques. Pour plaisanter, il s'était un jour dit que s'il n'avait plus que cela à faire, il deviendrait enseignant en histoire juste pour tenter de rendre la matière plus accueillante – ce n'était pas comme s'il n'y avait rien à dire.
Même si c'était plus plaisanter, cette idée resta dans un coin de sa tête.
Car en premier lieu, c'est l'architecture qui l’intéressait. Raison pour laquelle il donna tout ce qu'il put lors de sa dernière année de lycée et une fois son diplôme obtenu, il s'envola vers l'université de Yale. Beaucoup de choses changèrent là bas.

C'est en quatrième année qu'il rencontra – non pas les Skulls and Bones – mais Esther.
Esther, c'était la belle brune, celle qui semblait tout droit sortie d'une série télévisée ; la jeune provinciale découvrant la ville et la foule, les yeux hagards, dorés comme le miel et les cheveux ondulés. C'était ce que Hal pensa lorsqu'il la vit pour la première fois, avec ses livres serrés contre elle dans un couloir et l'air perdue. C'était presque cliché, vraiment. Maintenant, lorsqu'il y repense, cela le fait sourire en se disant que ce jour là, il avait vraiment eu le coup de foudre.
Et il eut beaucoup de chance ! Parce qu'Esther avait elle aussi ressenti la même chose en le voyant. Tout s’annonçait comme dans un conte de fée.

Tout aurait pu être très simple si, un an plus tard, Esther ne s'était pas retrouvé involontairement enceinte.
Ce n'était évidemment absolument pas prévu et sous la pression d'une famille conservative, elle fut obligée de garder l'enfant, ne pouvant pas se décider à couper les ponts avec eux. Elle arrêta tout de même ses études pour le bien de l'enfant, se disant sans trop de conviction qu'elle les reprendrait plus tard.
Hal, lui, ne la laissa pas tomber et accepta de l'épouser pour ne pas que les parents de la jeune femme ne la renie. Il continua jusqu'au bout pour obtenir son diplôme, faisant au maximum pour ne pas fuir ses responsabilités.
En 1998, quand Hal avait 24 ans, naquit Autumn, une ravissante petite fille que son père et sa mère aimèrent instantanément malgré leur situation un peu précaire. Mais ils étaient aidés par leurs familles respectives et au final, Hal parvint à obtenir son diplôme. Finalement, ça aurait pu être pire.

Pendant un an toutefois, Hal n'eut pas de travail dans le domaine de l'architecture. Il lui fallut encore douze mois et quelques petits boulots pour être engagé dans une agence à Chicago.
Pendant plusieurs années, tout se passa pour le mieux. Hal et Esther étaient aux anges et élevaient Autumn du mieux qu'il le pouvaient et jusque là, ils ne s'en sortaient vraiment pas trop mal. Hal commençait à se faire un nom et il dessina bon nombre de plans pour des particuliers mais aussi pour quelques lieux publics. L'argent pour les futures études d'Autumn était mis de côté, ils avaient eu de quoi acheter une maison pour vivre confortablement sans se priver. Tout allait pour le mieux.
Sauf que la relation entre les deux adultes se dégrada.
C'était au départ des petites disputes, des petites piques, des froncements de sourcils et un peu de rancune. Ça avait fini par des exclamation, des « ce soir tu dors sur le canapé » ou « j'en ai marre, j'ai l'impression que tu ne m'écoutes plus !» voire « mais où est-ce qu'on va ? ». Toutes ces questions que Hal n'avait jamais eu l'intention de se poser. Finalement, après moult soupirs las et réflexions qu'il trouva superflues, il arriva à la conclusion que si Esther se compliquait autant la vie, c'est pas ce qu'il ne lui convenait plus. Il se rendit compte bien avant qu'elle ne le fasse qu'elle ne l'aimait plus. Et à force, à l'usure, il avait fini par le plus l'aimer non plus, l'amour s'étant finalement abaissé au stade de tendresse amicale.
Cela ne l'empêcha pas de se mettre en colère quand il la retrouva avec un autre homme dans sa propre maison. Pour l'exemple qu'elle donnait à Autumn, pour l'affront d'avoir fait ça dans un bâtiment que lui-même avait pensé, pour avoir été si contradictoire, hypocrite et égocentrique.
Son grief ne fit qu'amplifier lorsqu'elle annonça « je veux divorcer », « je déménage en californie » et « j'emmène Autumn avec moi ». A ce moment là, il ne s'était pas gêné pour la mettre dehors. Ce fut une très mauvaise idée. La colère avait fini par engendré la colère, comme dans le dicton - et si Hal se calma relativement rapidement, ce ne fut pas le cas de sa future ex-femme.

Avec cette histoire, Hal eut une période à blanc au niveau du travail et cela ne plut pas du tout à son employeur. Quand Esther toucha trois mots à ce dernier, Hal fut licencié. Il ne sut jamais ce qu'elle lui avait dit, mais c'était clair. Il n'avait plus d'emploi, et arrivé à l'instance de divorce, ce fut Esther qui obtint la résidence habituelle d'Autumn. Lui n'eut le droit qu'à un pauvre droit de visite et celui de pouvoir avoir sa fille à la maison pendant les vacances scolaires. Esther déménagea à San Diego, emmenant Autumn avec elle. Hal se demanda et se demande toujours comment tout avait pu dégénérer si vite. 

N'ayant plus du tout envie de retrouver un emploi dans l'architecture, Hal reprit des études. Pour s'occuper la tête, parce qu'il aimait ça, il ne savait pas vraiment – peut-être tout à la fois. Au départ, ce fut sans grande conviction puis, par défi avec lui-même, il se demanda s'il était capable d'accomplir cette petite blague à laquelle il avait pensé des années plus tôt lorsqu'il était encore au lycée. Juste pour voir.
Finalement, à 37 ans, il obtint un nouveau diplôme.
Pendant tout ce temps, ce qui lui manqua le plus était Autumn. C'était sa fille, son petit trésor. Autant qu'il le pouvait, il avait pris de ses nouvelles. Il l'avait accueilli chez lui lors de ses vacances et tout s'était bien passé au début – elle était heureuse de le revoir, Hal aussi. Il était autant surpris qu'amusé et impressionné par le don qu'elle avait pour le dessin. Elle aussi, comme lui avant, passait son temps à croquer tout ce qu'elle pouvait. Il avait adoré lui donner des conseil, l'emmener dans des parcs, se balader avec elle. De tous ces événements, il avait beaucoup de photos. Quand elle n'était pas là, il s'assurait de l'avoir quand il pouvait au téléphone et il lui envoyait régulièrement de l'argent de poche  - et elle en profitait sûrement un peu, beaucoup.
Autumn grandit vite. Elle avait très mal vécu le divorce et Hal était horriblement désolé de lui infliger cela – dans toute cette histoire, c'était elle qui en avait le plus souffert. Et tout les cadeaux du monde ne pouvaient remplacer cela.
Petit à petit, au fur et à mesure des années, elle s'entendait moins bien avec son père, avait de moins en moins envie de venir. Elle avait des amis en Californie, un petit-ami peut-être, et sa mère était peu élogieuse à propos de Hal. Elle avait fini par laisser tout ça rentrer dans sa tête. L'adolescence n'est jamais une partie de plaisir.

Pour enseigner, Hal décida de déménager – il fallait qu'il change de maison, qu'il quitte Chicago, qu'il change d'air. Retourner à Red Wings semblait être dans l'ordre des choses. Cela ne fut pas pour lui déplaire, cette ville lui manquait et finalement, la famille qu'il avait là bas – ses parents, toujours les mêmes, ainsi que son frère et sa sœur – lui manquait. Presque par ironie du sort, il se dégota un poste de professeur d'histoire dans le lycée où il avait étudié autrefois. Au départ, cela lui avait fait tout drôle. Puis il finit par s'y habituer.
Un an et demi se passèrent tranquillement ainsi. Il était satisfait de sa première année et avait plus ou moins réussi avec succès le but qu'il s'était fixé, essayer de raconter les choses pour les rendre plus intéressantes, accompagnant ses cours de films, coupures de journaux et d'anecdotes sur le sujet.
Tout commençait à rentrer dans l'ordre.
Mais le calme ne dure jamais.

Un matin, juste avant qu'il ne parte en cours, Esther lui avait téléphoné. C'était inhabituel. C'était toujours lui qui appelait. Ses premiers mots avaient été très simples, peut-être était-ce pour ça que Hal les trouva si cruels. « J'ai une tumeur », avait-elle dit d'une voix plate. « Ils disent que je n'en ai plus que pour quelques mois, » ajouta-t-elle. « Tu t'occuperas d'Autumn désormais. »
Lui qui avait souhaité pendant si longtemps que sa fille vienne vivre chez lui n'avait jamais voulu que ce soit de cette façon. A trente-neuf ans, Hal apprit qu'il fallait faire très attention en formulant ses vœux.
Cette nouvelle ne le laissa pas de marbre ; s'il n'aimait plus Esther et qu'il avait longtemps éprouvé de la rancœur envers elle, il n'oubliait pas qu'il lui avait également accordé beaucoup d'amour. Et cette nouvelle fut difficile à avaler. Mais plus que lui-même, il pensait à sa fille, à Autumn qui n'aurait jamais dû avoir à affronter ça. Un divorce, et maintenant l'agonie de sa mère.
Tant bien que mal, au milieu de nombreux allée-retour entre San Diego et Red Wings le week-end, il prépara l'arrivée de sa fille sans réelle joie, pourtant. Il était cependant bien décidé à faire du mieux qu'il pouvait. Rien ne serait facile. Elle ne s'entendait déjà pas très bien avec lui, et les choses n'allaient probablement pas s'arranger au départ. Mais Hal ne perdait pas espoir à ce niveau. La patience avait toujours été l'une de ses plus grandes qualités.

Et à présent, il n'avait plus qu'à attendre.