A peine fus-je entrée dans le bureau, que le temps sembla se stopper. Il était là, face à moi, et d'un coup, j'eus l'impression de perdre tout mon courage. Adam avait toujours eu cet effet sur moi : il me faisait perdre mes moyens. Plongé dans ses papiers, sérieux, concentré, il n'en était que plus beau. J'aimais son air bougon, les sourcils légèrement froncés. Je me stoppais au milieux de la pièce, au moment où il me disait, sans me regarder, qu'il serait à tout à moi dans une petite minute. J'aurai pu rebondir sur ces mots, avouant que je n'attendais que ça, qu'il soit tout à moi... Qu'il soit de nouveau tout à moi. J'aurais pu, mais je me retins. La plaisanterie ne serait certainement pas la bienvenue. J'optais pour un bonjour. Léger. Rapide. Simple. Alors que ma voix s'élançait dans la pièce, je le vis stopper son écriture, ses sourcils se froncèrent d'autant plus alors qu'il lâchait son stylo pour lever les yeux sur moi. Mon cœur manqua un battement, ma gorge se resserra. Son regard posé sur moi était dur. C'était à prévoir, mais il eu l'effet d'un coup de poignard en plein cœur. Il se passa quelques secondes de silence. Nos yeux ne se lâchaient pas d'un doigt, se fixant, s'observant. S'analysant. J'ignorais ce qui pouvait se passer dans la tête d'Adam. Dans la mienne en tout cas, tout était confus. J'attendais un signe, un geste de sa part. Ce temps me sembla durer une éternité, et enfin, il parla. « Qu'est-ce que tu fais ici ? » Voilà. Il avait parlé. Je ne répondis pas tout de suite. La gorge nouée, je ne m'étais pas vraiment attendue à cette question. Pas d'emblée en tout cas, pas comme ça. Ce que je faisais ici ? Qu'entendait-il par là ? Ce que je faisais là, dans son bureau, à la place de madame Douglas ? Ou ce que je faisais à Red Wing, si loin de mon New-York bien aimé ? De toute façon, la réponse était la même. « Hé bien.. je suis là pour te voir. » Pour le voir. Uniquement pour ça. Ma venue ici n'avait aucun autre but, et il le savait. Je n'avais nullement besoin des services d'un avocat, et si j'en avais eu besoin, je n'aurai pas fait tant de chemin pour. Il y avait des milliers d'avocat à New-York... pas des aussi talentueux qu'Adam, évidemment, mais quand même...

Ma réponse ne paru pas lui plaire puisqu'il baissa les yeux, rangea son dossier et se leva. L'avais-je mis mal à l'aise ? « Personnellement je n'ai rien à te dire, donc la porte c'est par là. » Je me raidis. C'était glacial et son bras dirigé vers la porte me fit monter les larmes aux yeux. Mais je ne pleurerai pas. C'était sûr. Moi qui pensait que l'année passée aurait fait redescendre sa colère. Je m'étais plantée. Et en beauté. Je fis quelques pas vers lui, secouant doucement la tête de gauche à droite. « Adam s'il te plaît, ne fais pas ça... » débutais-je en me stoppant à un mètre de lui. « Je n'ai pas l'intention de sortir de ton bureau... Et ce n'est pas à toi que je vais apprendre à quel point je suis têtue. » Ça, c'était certain. Adam que connaissait plus que trop bien. Il était sûrement la personne qui me connaissait le plus au monde. Peut-être même plus que ma propre mère. Mon cœur s'était remis à battre la chamade. Ses yeux posés sur moi me donnaient des frissons. J'aurai seulement tout donné pour qu'ils s'adoucissent un peu. Pour qu'il me regarde comme il me regardait avant. « J'ai l'intention de m'installer à Red Wing. Je ne supporte plus ma vie à New-York... sans toi. » J'ignorais comment lui dire tout ça, comment lui faire comprendre à quel point il me manquait, à quel point son absence m'était insupportable. Je ne vivais plus depuis qu'il était parti, et je savais très bien que j'étais la seule à blâmer.

Ces retrouvailles, je les avais imaginé des centaines de fois. J'avais souvent joué la scène devant mon miroir, changeant les paroles, passant du meilleur au pire. L'attitude d'Adam n'était pas très loin du pire, mais en même temps, je n'aurai pas pu espérer qu'il se jette sur moi, le sourire aux lèvres, me disant que je lui avais manqué. Non. Le pire aurait été qu'il se jette sur moi comme une furie, et me donne des claques. Mais jamais Adam ne porterai la main sur moi, ça, j'en était sur. Il n'avait pas besoin de ça d'ailleurs pour me faire du mal. Ses yeux, ses mots, son doigt pointé sur la porte suffisait amplement. J'avais eu beau me préparer à ça, c'était tout de même douloureux. J'avais l'impression que des milliers de petites fléchettes se plantaient dans mon cœur. Une à une, elles s'enfonçaient de plus en plus profondément, l'entaillant, le lacérant. Un instant, je me dis que j'avais été idiote de me pointer ici comme ça. De tout lâcher à New-York pour le rejoindre à Red Wing, sans savoir au préalable s'il était prêt à me revoir, prêt à m'accorder une nouvelle chance. Peut-être que lui, en un an, il m'avait oublié. Il était peut-être parvenu à tourner la page... Peut-être même avait-il refait sa vie avec une autre. Et s'il était fiancé ? Marié ? Un rapide coup d'oeil à sa main me rassura quelque peu. Pas d'alliance. Bon... c'était déjà pas mal. Mais cela n'excluait pas le fait qu'il ait pu rencontré quelqu'un et qu'il soit tombé amoureux... d'une autre. Pourtant, le fait qu'il réagisse de cette façon, le fait qu'il soit toujours si en colère contre moi, me faisait presque dire que tout n'était pas perdu...  

Quand je lui annonçais que j'avais décidé de m'installer en ville, il lâcha échapper un rire. Là, je sentis le rouge me monter aux joues. Est-ce qu'il se moquait de moi  là ? Ou bien c'était un rire jaune, un rire nerveux ? Je ne le lâchais pas des yeux, le défiant presque du regard. Je voulais qu'il sache que j'étais on ne peut plus sérieuse. Que mes paroles n'étaient pas dites à la légère. Il reprit son sérieux en quelques secondes et prit la parole pour me demander ce que j'avais fait pendant tout ce temps. Je secouais la tête, soupirant. « Ne dis pas n'importe quoi, l'autre, comme tu dis, je ne l'ai jamais revu, je... J'en avais rien à faire de lui, on... » Je soupirais une nouvelle fois, me rapprochant encore un peu plus. « Adam, tu sais déjà tout ça, je n'ai cessé de te le répéter... Je sais pas comment c'est arrivé... » Je me tus. J'avais le sentiment que rien de ce que je pouvais dire ne ferait avancer l'affaire.  Je m'apprêtais à reprendre la parole lorsque la porte s'ouvrit. Je fis quelques pas en arrière, alors qu'Adam rassurait sa secrétaire qui nous regardait l'un après l'autre, les sourcils froncés. Une fois qu'elle fut ressortie, Adam reprit la parole, me demandant une nouvelle fois de partir, ajoutant, qu'il n'avait « pas le temps de s'occuper de moi ». Je restais silencieuses quelques secondes avant de secouer négativement la tête. « Si je sors de ton bureau maintenant, tu sais pertinemment que je reviendrais demain. Et après demain. Et encore les jours d'après. Jusqu'à que tu aies le temps de t'occuper de moi. » Je mimais des guillemets en reprenant ses mots. « C'est l'heure de ta pause déjeuner, non ? Je t'invite quelque part ? » J'insistais. Je ne pouvais faire autrement. Mais Adam pouvait dire, faire ce qu'il voulait : je n'était pas décidée à sortir de son bureau, et encore moins, à sortir de sa vie.